CHAPITRE VI

Corran Horn trouva Valin dans une clairière de la jungle de Yavin 4. Le jeune garçon était assis en tailleur. Le front couvert de sueur, il se concentrait sur une pierre posée un mètre devant lui.

La fierté et l’angoisse s’emparèrent simultanément de Corran. La lignée Horn-Halcyon de Chevaliers Jedi était connue pour son manque d’aptitudes télékinétiques. Corran se souvenait parfaitement de sa frustration dès qu’il essayait de déplacer des objets avec la Force. Sauf en cas de circonstances extrêmes, quand des vies en dépendaient, il était incapable de faire couler plus vite une goutte d’eau.

Sans parler de déplacer un rocher…

Corran était impressionné par la détermination de son fils. A onze ans, il lui arrivait déjà à l’épaule. Il ressemblerait à son grand-père au niveau de la taille. Ses cheveux noirs et ses yeux noisette, il les devait à ses parents. Mais son visage rappelait Mirax, avec un rien de sa grand-mère paternelle.

Une bonne chose qu’il ne ressemble pas à Booster Terrik…

Corran aurait voulu dire au gamin de laisser tomber… Mais il se retint. Apprendre à vivre avec la frustration faisait partie de l’éducation.

Pourtant, la pierre bougea et roula sur le côté.

– Valin, c’est super ! Tu l’as déplacée !

– Papa ? Je n’avais pas vu que tu étais là.

– Normal, tu étais concentré. Mais ce que tu as fait est génial !

– Papa, ce n’était pas ce que tu penses…

– Je sais ce que j’ai vu !

Valin sourit.

– Tu te souviens de ce que tu m’as dit sur les « points de vue » ?

– Oui ?

– C’est une question de point de vue, ici aussi. Regarde de plus près.

Corran étudia la pierre. Il vit une multitude de petits insectes pourpres grouiller à sa base.

– Je ne comprends pas… Tu as posé la pierre à l’entrée d’une colonie de garnants ?

– Non. Je les ai étudiés. Ils communiquent par les vibrations et l’odorat. Grâce à la Force, je les ai persuadés que le caillou était de la nourriture. Le premier l’a marquée avec l’odeur correspondante, et les autres l’ont déplacée. Mais il me faut les récompenser de leurs efforts.

Forcer une créature pensante à agir contre son gré revenait à utiliser le Côté Obscur de la Force. Avec un animal, c’était différent, surtout si on compensait l’énergie qu’il avait perdue. Pourtant…

– Je suis impressionné, même si ça ressemble trop au Côté Obscur à mon goût. Communiquer avec une autre espèce n’est pas facile.

– Ce n’est pas vraiment une communication, papa. Il s’agit seulement d’insectes…

– C’est plus que je ne pouvais faire à ton âge.

– Mais tu n’avais pas reçu de formation.

– Exact. N’empêche, je suis fier de toi !

– J’aimerais te rendre encore plus fier ! J’ai essayé de déplacer le rocher avec mon esprit, mais ça n’a pas marché. Je suppose que je ne serai jamais un Jedi très puissant.

– La véritable force d’un Jedi est celle de son esprit et de son âme. Certains déplacent des rochers seulement pour prouver qu’ils en sont capables. Les plus forts s’en abstiennent quand ça ne sert à rien.

– Que veux-tu me dire exactement, papa ?

– Que tu apprendras à vivre avec ta faiblesse ! lança une voix.

Corran leva la tête.

– Ganner !

Le Jedi était plus grand que Corran et beaucoup plus musclé. Sa moustache et son bouc, aussi noirs que ses cheveux, mettaient en valeur ses magnifiques yeux bleus, et ses robes de Jedi bleu foncé lui donnaient l’allure altière d’un membre du gouvernement.

Corran sentit son fils invoquer la Force.

– Non, Valin !

– Vas-y, petit, montre-moi ce que tu sais faire, dit Ganner. Projette vers moi ta vision. Je te promets que j’aurai peur !

Valin laissa la Force couler en lui.

– Le truc le plus déplaisant auquel je puisse penser, c’est de vous voir là !

Ganner applaudit ostensiblement.

– Il a du caractère. (Il se tourna vers Corran.) Notre vaisseau est prêt.

– Valin, retourne au Grand Temple et préviens ta mère et ta sœur que je vais venir leur dire au revoir.

– Tu es sûr ?

– Je ne vais pas le manger, Valin, ricana Ganner.

– Vas-y, Valin, insista Corran. Ta mère s’inquiétera pour moi. Tache de la rassurer, d’accord ?

Corran le regarda partir, puis se tourna vers Ganner.

– Parfait. Si tu me disais pourquoi tu voulais me voir seul à seul ?

– Correction. Je suis responsable, tout court ! Tu seras mon assistant.

– Dans les dossiers, d’accord. Mais en réalité…

– Que veux-tu dire ?

– Que tu es un Jedi à l’ancienne mode, avec ton sabre laser à double phase. Je suis beaucoup plus puissant que toi ! Je sais que tu n’es pas partisan de la philosophie de Kyp Durron, mais nous devrons tous l’embrasser pour sauver l’Ordre des Jedi. (Ganner fit un geste, et le caillou de Valin s’envola.) Je ferai ce qu’il faut pour accomplir notre mission, mais je ne tolérerai pas d’interférence de ta part ! Entendu ?

– Oui. Ta philosophie est plus importante que notre travail…

– Pas du tout !

– Si, mais je ne m’attends pas à ce que tu t’en rendes compte. Kyp, vos amis et toi, vous travaillez dur pour renforcer la position des Jedi dans la galaxie. Vous portez des uniformes flamboyants et émettez des jugements définitifs. Vous avez sans doute raison la plupart du temps. Mais je n’aime pas la façon dont vous prenez position, ni votre conception des choses. Vous pensez qu’il suffit d’être un Jedi pour mériter le respect. Moi, je prétends qu’il faut le gagner !

– C’est déjà fait. Les Jedi ont vaincu l’Empire.

– Pas les Jedi, un seul ! Le seul qui s’est dressé contre Palpatine à l’époque ! Luke Skywalker a gagné le respect de la galaxie, pas nous ! Nous devons lutter pour ça, jour après jour. Les gens finissent par en vouloir à ceux qui se posent un peu trop en redresseurs de torts. J’en ai été témoin quand je travaillais à la CorSec, et depuis que je suis un Jedi aussi.

Ganner éclata de rire.

– Tu es le moins apte à critiquer ceux qui essaient d’avoir une image valorisante pour faciliter leur travail !

– Ah ? Comment cela ?

– Ce que tu as fait sur Courkrus par exemple… Tu as terrorisé les gens, leur faisant voir des choses effrayantes qui n’existaient pas. Tu t’appelais peut-être Keyran Halcyon à l’époque, mais tu as utilisé les mêmes méthodes que nous. Tu sais combien elles sont efficaces.

– Je ne te laisserai pas prendre l’exemple de Courkrus pour justifier tes actes ! C’était une planète de hors-la-loi, gouvernée par des pirates. Je me suis servi de leurs peurs pour briser leur confédération. Vous, vous arrivez et vous toisez tout le monde de haut. Personne ne peut se sentir en sécurité quand vous êtes là.

– Nous empêchons les gens de se tourner vers le Côté Obscur.

– Oui, j’ai déjà entendu cet argument. La peur, même pour une bonne cause, est le premier pas qui mène au Côté Obscur. Mais tout ça importe peu. Tu ne veux pas que je te gêne pendant notre mission, parfait ! Il te suffit de ne pas m’en donner des raisons. Nous devons récupérer un groupe d’étudiants et les ramener chez eux. Quoi de plus simple ?

Ganner Rhysode ricana à cette description. D’accord, tu es plus futé que je l’imaginais…

– J’espère que ce le sera, mais ne rêvons pas trop… Il est probable que nous trouverons des Yuuzhan Vong sur la planète ! Je serai prêt. Et je prouverai à ces envahisseurs qu’ils auraient dû rester chez eux.

– Tu n’oublies pas un détail ?

– Lequel ?

– Notre mission est de sauver les xénoarchéologues.

Ganner se gratta quand plusieurs garnants lui sautèrent dessus.

– Tu as lâché ces insectes sur moi ! lança-t-il, accusateur.

– Non. Tu as dû marcher sur une de leurs colonies, dit Corran, se retenant de rire.

– Il y en a partout ! cria Ganner, se trémoussant pour déloger les bestioles.

– Rentre au temple et prends une douche. Les insectes t’ont marqué d’une odeur qui en attirera de plus en plus. Nous partirons dès que tu te seras débarrassé d’eux.

– Tu crois tout ça très drôle, Horn, mais je suis sérieux. Ne te mets pas en travers de mon chemin.

Corran le regarda partir.